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Elle dégaine son appareil comme elle respire, elle photographie comme elle vit, à l’instinct, sans filet de sécurité, authentique et entière, dévouée à l’instant présent autant qu’à la rencontre providentielle, obsédée par la nécessité de capter, de garder une trace. Vivre sans regrets est son crédo et c’est à travers l’objectif qu’elle consigne ses émerveillements, ses impressions et émotions du moment, ses pulsions imaginaires, qu’elle rende grâce à la puissance du réel ou qu’elle fabrique des mises en scène impromptues et spontanées. C’est toujours une histoire de résonance entre le dedans et le dehors, dans l'interaction intérieure/extérieure dont la photo rend compte. Comme un témoignage existentiel. La mémoire directe de ce qui a été autant que la projection d’un univers et l’expression d’un regard. Avec son appareil arrimé à ses jours, à ses nuits, prolongement de son être et de ses élans, elle perfore le temps de ses images indélébiles, elle donne le tempo et le La de sa vie.

Camouna pratique la photographie depuis l’adolescence. Très tôt, elle s’est montrée réfractaire à toute forme de moule, allergique à tout ce qui relevait de la scolarité. Très tôt, Camouna a fait le mur. Pour échapper à l’ennui, par besoin d’aller voir de l’autre côté, de se confronter à l’inconnu, de défier sa propre timidité face aux autres. Très tôt, Camouna a joué à cache-cache. Avec les profs et l’autorité, avec la famille, avec sa propre image aussi. Ado, pour éviter d’aller en cours, elle s’enferme un jour dans le labo photo du lycée autogéré qu’elle ne pense qu’à fuir pour devenir comédienne. Elle découvre une ambiance de silence et de fantômes, l’hospitalité de la lumière tamisée et la fascination pour les images à apparaître. Elle y revient avec une pellicule de sa sœur à développer. Ce sont des portraits de sa grand-mère, Camouna, qui s’y révèlent. La chambre obscure sera son nouveau terrain d’expériences. Camouna, également son deuxième prénom, prend la première place de sa nouvelle identité artistique. Le lien entre Camouna et la photo est scellé. Tant pis si la technique ne suit pas au début, elle apprend sur le tas, se fait la main dans la rue, en voyage, en réalisant les books des copains comédiens. Quand elle prend son indépendance, c’est comme une revanche. La possibilité de s’exprimer enfin. Tout comme le jeu, photographier devient à la fois sa soupape au réel et sa caisse de résonance. C’est d’ailleurs avec son premier cachet d’actrice qu’elle se paie son premier Canon G7 numérique. Les vannes sont ouvertes, les chevaux lancés au galop. CamounA photographie sans trêve son corps, celui des autres, dans des mises en scènes nées de l’inspiration du moment, elle affine sa maîtrise, elle improvise, électrise son sens de la composition, traque la vérité sensible qui se joue sous ses yeux, elle invente avec ce qu’elle a. Les images de Camouna relèvent de l’intime, même lorsqu’à première vue, la situation ne l’est pas. Le réel et l’imaginaire s’y entrechoquent sans cesse. Les contraires s’y frictionnent. Violence, douceur, érotisme, sensualité, amitié, maternité, humour, gravité… Elle traque le nu sous toutes ses coutures et le féminin au pluriel. Qu’elle se prenne pour modèle ou qu’elle photographie les autres, c’est toujours le « nu vrai » qu’elle tente d’approcher, la nudité comme une page blanche, le degré zéro de l’humanité avant toutes les couches de sociabilité. Des corps tels qu’en eux-mêmes, en huis clos ou fondus dans le paysage, coulés dans l’ombre ou la lumière, offerts et sans fard. En couleur ou en noir et blanc, à l’argentique ou au numérique, les images de Camouna contiennent toutes en creux une histoire, elles irradient une atmosphère prégnante, elles posent une énigme ou soufflent un mystère. Certaines fonctionnent en séries (« Sortir mon chien », « 12 rue Auguste Laurent »…), certaines rappellent les clichés sur le vif de Nan Goldin, d’autres s’immiscent dans des lieux quotidiens pour mieux y faire naître l’étrangeté, jouant sur la présence-absence du modèle. Il n’y a pas de style Camouna car il n’y a ni recette ni préméditation et pourtant, prises toutes ensemble, ces photographies font œuvre véritablement. En ce sens qu’elles dévoilent les êtres dans leur proximité bouleversante tout en éclairant le geste photographique d’une artiste qui s’exprime par le jeu, la réalisation ( Camouna a signé plusieurs court-métrages sous le nom civile Sarah Cohen-hadria ) et l’image, tous ces médiums s’interpénétrant les uns les autres. Tous ces médiums cultivant un lien fort avec le corps, la narration et le mouvement. Le regard de Camouna reflète tout cela.

Marie Plantin


 


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